mardi 13 décembre 2016

Le Tarot : une école du regard


Le Tarot est un univers-monde aux chemins infinis, dans lequel il est impossible d’enfermer quoi que ce soit dans une seule signification ; une seule vérité. Pourtant, le Tarot dit des vérités et c’est là tout le paradoxe ! Il dit la vérité du moment. Ou plutôt, nous tentons d’y lire la vérité du moment… On dit souvent à propos des contes que les conteurs sont tous des menteurs, mais que les contes disent toujours la vérité. Il y a toujours dans un tirage de Tarot une approximation, quelque chose que le tarologue ne voit pas, et pour le moins un choix de regard et d’interprétation. Et pourtant, une vérité est dite ! Une vérité donc relative (comme toutes les vérités) mais qui pourtant peut avoir le pouvoir de réorienter le chemin de vie du consultant !

Face à sa multitude de sens, à ses correspondances sans fin, il est possible (et même parfois souhaitable ?) de s’y perdre. L’esprit humain adore construire des systèmes, des théories et il lui arrive même, plus souvent qu’à son tour, de trouver des causalités là où il n’y a sans doute qu’un croisement aléatoire de plusieurs données distinctes.

Il n’en demeure pas moins qu’il arrive parfois que devant un tirage de Tarot nous soyons complètement perdus. Face à cette difficulté deux réponses peuvent être intéressantes : bien comprendre que ce n’est pas le Tarot qui se trompe mais nous qui ne savons pas le comprendre, et revenir à l’image.

Ce retour à l’image est essentiel tant le Tarot est un langage d’images. Ses concepteurs (dont nous ignorons l’identité) auraient pu rajouter des mots (certains jeux plus tardifs ne s’en privent pas !) ; ils ne l’ont pas fait, sauf sur la cartouche inférieure indiquant le nom de la carte. Le jeu le plus ancien connu date du XIVème siècle. Une époque où très peu de gens savaient lire. Cela signifie qu’il y avait l’idée de pouvoir s’adresser à tout le monde. Le moyen-âge aimaient les images allant jusqu’à peindre l’intérieur des églises et des cathédrales. On enseignait les foules par les images et c’était par elles que l’on transmettait, par exemple, les scènes édifiantes de la Bible ou des Évangiles. L’iconographie médiévale est pour moi une merveille absolue dont je ne me lasse pas. Ce jeu de Tarot parvenu jusqu’à nous vient d’un siècle qui fut la jonction entre le moyen-âge et la Renaissance. La fin d’un cycle de mille ans et le début d’une nouvelle époque. Ce jeu a donc valeur de bilan tout autant que de passeport pour le futur….

Revenir à l’image. Donc, au-delà de toute spéculation intellectuelle ou émotionnelle, revenir à ce qui nous est montré. Et si il y a une chose que j’ai comprise en 15 années d’études (inachevées et d’ailleurs inachevables !) du Tarot, c’est bien qu’il n’y a aucun détail qui ne soit pas un choix. Rien qui ne soit dû au hasard. Il faut donc régulièrement revenir à la vérité de l’image car ici, tout fait sens.

Prenons l’exemple de l’Arcane sans nom et de sa partie inférieure. On voit bien sûr en premier ce squelette portant faux tout à fait inquiétant. On voit ces têtes (couronnées !) coupées, ces membres sectionnés, ces os. On voit cette terre noire, celle des champs d’hiver après les labours. Et l’on se dit : houlala, quelle horreur ! Ce qui va m’arriver est abominable !
Mais on regarde d’un peu plus près et l’on peut voir alors un os transformé en flûte ! Ah bon, il est donc possible de faire de la musique quand la grande faucheuse est là ? De faire chanter quelque chose quand son grand travail de transformation, de mise à nu, de métamorphose est en cours ? (Et à ce propos cette flûte creusée dans ce qui ressemble à un tibia ressemble comme deux gouttes d’eau à une authentique pratique bouddhiste tibétaine !). On regarde encore et l’on voit alors de jeunes pousses vigoureuses et pleines de vitalité sortant de terre. Quelque chose donc peut pousser dans ce sombre tunnel de l’hiver ?

Et bien oui. Explicitement, cette image nous dit bien qu’au-delà du travail de coupe et d’arrachage de l’Arcane sans nom, ce qui se joue est une nouvelle naissance, un renouveau. Qu’aussi dur à vivre que soit cette séquence, c’est un passage obligé pour de nouvelles moissons. Les têtes couronnées sont à terre, mais c’est pour mieux renaître après avoir fait le deuil de bien des illusions. La terre a été retournée, est nue, mais c’est pour de nouvelles récoltes. La chaire s’est décomposée mais pour de nouveaux chants, une nouvelle chair, une nouvelle vie. Et quand bien même la mort passerait-elle au sens propre, il nous est dit ici que la Vie, elle, continue ; toujours.

Ainsi, le Tarot est aussi une école du regard. Il est bon d’y réfléchir, mais il est bon aussi de revenir à la vérité première de l’image avant que les références historiques, culturelles ou autre ne s’en emparent. C’est pour cela que je juge important pour enseigner le Tarot de prévoir de longues séquences au cours desquelles les stagiaires ne font que regarder en silence. C’est ce travail-là qui me parait le plus à même de préserver la vitalité de nos perceptions.

Comme je l’écrivais il y a peu, l’arcane suivant l’Arcane sans nom est Tempérance. Un ange… La promesse contenue dans le premier arcane se voit donc ici confirmée. Après la traversée de l’ombre : la lumière ; après la souffrance : l’amour. Au sol, encore quelques pousses plus grandes que les précédentes. Les mêmes qui auraient poussé ? Ce qui a été donné pour mort, ce qui a fait la grande traversée, revient avec les ailes d’un ange. Une façon de montrer, là encore, qu’il ne peut y avoir d’accès à la lumière sans confrontation avec l’ombre et sans la traversée de cette expérience -pour le plus souvent rude- de l’Arcane sans nom…. Mais au plus sombre de notre parcours, le fait de voir que quelque chose de neuf est en train de pousser et qu’un chant puisse naître de cette épreuve peut être comme une promesse qui nous aide à tenir…

Le Tarot est une école à plus d’un titre : une école de vie ; un entraînement à l’intuition et à la sensibilité, à la richesse féconde du symbolique ; un chemin d’individuation ; une marelle vers le sacré ; une connexion avec ce qui peut nous échapper… Il est aussi une école du regard qui, si l’on y revient, inlassablement, peut nous éviter de nous y égarer.

Et puis, encore une chose. Dans cette partie inférieure de l'arcane, il y a un objet étrange : un os, un peu comme un chausse-pied qui ne ressemble à aucun os connu. C'est un mystère, et pour l'heure, je ne connais personne qui ait apporté une réponse pertinente à celui-ci. J'aime cette idée d'une vérité qui se dérobe. Comme si, pour des siècles, ce jeu, ce livre, ce miroir, ce chemin, qu'est le Tarot gardait une part d'irrésolu ; à l'image de ce que sont nos vies : des mystères que nous tentons d'éclaircir... Et comme si, dans cet irrésolu-là, reposait comme une dynamique très puissante qui nous dirait : avance ! Cherche !

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